Table des matières :

Introduction

Un chrétien peut-il juger ?

Dans mon contexte de sortie de la secte Kwasizabantu, j’ai parfois reçu l’objection “il ne faut pas juger”, lorsque j’émettais une critique à l’encontre des agissements ou des propos d’une personne.

Mais qu’en dit la Bible ?

L’objection

Le verset le plus cité pour supporter cette objection est :

Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés.

— Matthieu 7:1 (NBS)

On peut également citer, sans être exhaustif, les versets suivants :

Pourquoi regardes-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et ne remarques-tu pas la poutre qui est dans ton œil ?

— Matthieu 7:3 (NBS)

Ne vous accusez pas les uns les autres, mes frères. Celui qui accuse un frère ou qui juge son frère accuse la loi et juge la loi. Or si tu juges la loi, tu n’es pas quelqu’un qui la met en pratique, mais un juge. Un seul est législateur et juge, celui qui peut sauver et perdre ; mais toi, qui es-tu pour juger ton prochain ?

— Jacques 4:11-12 (NBS)

Tu es donc inexcusable, toi qui juges, qui que tu sois ; en jugeant l’autre, en effet, tu te condamnes toi-même, puisque, toi qui juges, tu pratiques les mêmes choses. Or nous savons que le jugement de Dieu contre ceux qui pratiquent de telles choses est conforme à la vérité. Comptes-tu donc, toi qui juges ceux qui pratiquent de telles choses et qui les fais toi-même, échapper au jugement de Dieu ?

— Romains 2:1-3 (NBS)

Dès lors, toi, pourquoi juges-tu ton frère ? Ou bien, toi, pourquoi méprises-tu ton frère ? Tous, en effet, nous comparaîtrons devant le tribunal de Dieu.

— Romains 14:10 (NBS)

Une contradiction ?

Mais alors, que penser de Jésus qui nous commande :

Ne donnez pas ce qui est sacré aux chiens et ne jetez pas vos perles devant les cochons, de peur qu’ils ne les piétinent et ne se retournent contre vous pour vous lacérer.

— Matthieu 7:6 (NBS)

Et aussi :

Ne jugez pas selon l’apparence : que votre jugement soit juste !

— Jean 7:24 (NBS)

Et de Paul, qui écrit :

Quant à moi, absent de corps, mais présent d’esprit, j’ai déjà jugé, comme si j’étais présent, celui qui a agi de la sorte.

— 1 Corinthiens 5:3 (NBS)

Ou encore :

Est-ce à moi, en effet, de juger ceux du dehors ? Et ceux du dedans, n’est-ce pas vous qui en êtes juges ? Ceux du dehors, c’est Dieu qui les jugera. Expulsez le mauvais du milieu de vous.

— 1 Corinthiens 5:12-13 (NBS)

Ces versets seraient-ils en contradiction avec les précédents ?

Comment bien lire la Bible

Afin de bien interpréter les Écritures, il est crucial de procéder avec méthode pour ne pas en tirer de faux enseignements. Il est essentiel de bien comprendre le message que l’auteur original a voulu délivrer, d’avoir une exégèse solide.

J’aborde cet aspect brièvement. Pour plus de détails, lisez mon article Vérité biblique et volonté de Dieu

Quelques définitions

J’utiliserais les termes herméneutique et exégèse tels que définis par le pasteur et théologien Milton Spenser Terry :

L’herméneutique vise à établir les principes, méthodes et règles qui sont nécessaires pour exposer le sens de ce qui est écrit. L’exégèse est l’application de ces principes, la formulation en affirmations formelles, dans des termes différents, du sens des mots de l’auteur.1

L’herméneutique est donc la méthode théorique pour faire une bonne exégèse.

Principes fondamentaux

Voici un petit résumé des principes herméneutiques fondamentaux.2 3 4 5

1. Structure

  • Y a-t-il des mots, expressions ou idées répétées ?
  • Peut-on discerner plusieurs parties ? Comment s’articulent-elles ? Y a-t-il des connecteurs logiques ?
  • Qui sont les personnes mentionnées ? A qui s’adressent-elles ?

Il faut aussi garder à l’esprit que le découpage en chapitres et versets n’existe pas dans les textes originaux et est uniquement utile pour des questions d’organisation et de références. Il n’y a pas nécessairement de discontinuité narrative ou logique entre deux versets ou deux chapitres.

2. Contexte

  • Historique : Qui a écrit le livre, à qui, à quelle occasion ? Quelle était la situation des auteurs et destinataires ? Quel était l’objectif de l’auteur pour ses destinataires ?
  • Littéraire : De quoi parlent les passages précédents et suivants ? Comment le texte étudié s’inscrit-il dans le chapitre (ou ensemble de chapitres) dont il est issu ?
  • Thématique : Quel est de thème du texte ? Du livre dont est tiré le texte ?

3. Réflexion théologique

  • Comment le texte se rapporte-t-il au message de l’Évangile ?
  • Comment s’inscrit-il dans la révélation de la Bible dans son ensemble ?
  • Quel éclairage le reste de la Bible peut-il apporter ?

4. Compréhension

Après avoir appliqué les trois premières étapes, on peut extraire les enseignements du texte, les reformuler et en tirer des applications.

5. Cohérence

Enfin, il faut toujours s’assurer de la validité de notre interprétation. Se poser les questions suivantes est une bonne aide :

  • Est-ce que je m’appuie sur le texte pour lui faire dire ce que je veux ou est-ce que je fais ressortir de l’Écriture uniquement ce qu’elle dit ?
  • Mon interprétation contredit-elle d’autres textes bibliques ?
  • Mon interprétation est-elle en lien direct avec l’objectif de l’auteur pour ses destinataires originaux ?

L’objection au crible d’une éxégèse rigoureuse

Appliquons maintenant ces principes herméneutiques au sujet qui nous intéresse dans cet article.

Définitions

Avant de commencer l’étude des textes, regardons quelques définitions.

Le terme qui nous intéresse particulièrement est juger ou jugement. Quel est sa signification ?

Selon le dictionaire Antidote6 :

Juger

  1. Décider en qualité de juge, en vertu de la compétence judiciaire qu’on possède.
  2. Émettre une sentence.
  3. Se former une opinion sur ; apprécier.

Selon le dictionnaire Trésor de la Langue Française7 :

Juger

  1. Régler un différend, prendre une décision qui engage autrui.
  2. Rendre la justice, dire le droit, prendre une décision en qualité de juge.
  3. Exprimer son opinion personnelle sur autrui, sur sa conduite; l’approuver, le blâmer ou le condamner en décidant du mérite de ses actes, de ses mobiles, de ses pensées.
  4. Affirmer ou nier l’existence d’une chose ou la réalité d’un rapport entre deux objets de pensée.

On distingue clairement deux aspects : le discernement de valeur et l’émission d’une sentence.

Concordance strong et traductions du Texte Reçu

Il est dangereux de présumer du sens d’un mot ou d’une expression employée dans la Bible sans l’éclairage de son contexte.

Il est aussi dangereux de se fier au “lexique strong”, souvent utilisé sans précautions, pour déterminer le sens des mots. Il est avant tout une concordance permettant de trouver les différentes occurences d’un même mot dans la Bible et le contexte littéraire est peu pris en compte.

Le plus gros problème reste qu’il est basé sur les textes servant de base à la version King James de la Bible, une variante du Texte Reçu (Textus Receptus). Le Textus Receptus est un texte grec édité à partir d’une poignée de manuscrits tardifs (du 10ème au 16ème siècle) auxquels Érasme avait accès. Le Texte Reçu sert de base aux traductions du type King James en anglais et Martin ou Ostervlad en français.

Ces écrits contiennent des différences parfois majeures avec les manuscrits originaux8 9 10.

Par exemple :

Référence       Écarts (en rouge) avec le texte original
1 Jean 5:7-8 Car il y en a trois dans le ciel qui rendent témoignage : Le Père, la Parole, et le Saint-Esprit ; et ces trois-là ne sont qu’un. Il y en a aussi trois qui rendent témoignage sur la terre, à savoir l’Esprit, l’eau, et le sang, et ces trois-là se rapportent à un.
Actes 8:37 Philippe dit : si tu crois de tout ton cœur, cela est possible. L’eunuque répondit : Je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. (Le verset 37 n’est pas présent dans les textes originaux et a été retiré ou mis entre crochets dans certaines traductions.)
Matthieu 6:4 Afin que ton aumône se fasse en secret ; et ton Père qui te voit dans le secret, te le rendra publiquement.
Matthieu 9:13 Car ne ne suis pas venu appeler des justes à la repentance mais des pécheurs.
Romains 8:1 Il n’y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, qui marchent, non selon la chair, mais selon l’esprit.

Pour ces raisons, j’éviterai de baser mes interprétations sur la concordance strong et les version tirées du Texte Reçu.

Une exégèse de Matthieu 7:1

Faisons une exégèse rigoureuse de Matthieu 7:1 à titre d’exemple. Les mêmes méthodes herméneutiques peuvent êtres appliqués aux autres versets précédemment cités.

Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés.

— Matthieu 7:1 (NBS)

Quelle est la structure du verset ?

Il s’agit d’une parole de Jésus à ses disciples et à la foule venue l’écouter lors du “sermon sur la montagne”. On remarque que le jugement est l’idée centrale du texte. Le terme est présent à deux reprises. Il s’agit d’un impératif avec une relation causale (préposition afin de).

Quel est le contexte du verset ?

L’Évangile selon Matthieu a été écrit par Matthieu (aussi appelé Lévi), l’un des douze apôtres (Marc 2:14). Il était sans aucun doute juif et travaillait comme collecteur de taxes au services des Romains (Matthieu 10:3). Quand Jésus l’appela, il laissa tout et le suivit (Luc 5:27-28). Il offrit ensuite un grand banquet en l’honneur de Christ, qui accepta l’invitation en dépit du mépris dont les collecteurs de taxes étaient victimes (Luc 5:29).

Cet livre était avant tout destiné aux juifs (indiqué par les 60 références aux prophéties messianiques et les 40 citations de l’Ancien Testament). La mission de Christ auprès des juifs y est particulièrement mise en relief (Matthieu 10:5-6 ; 15:24). L’objectif apparent était de montrer aux lecteurs que Jésus de Nazareth était le Messie souverain de la prophétie messianique (Matthieu 1:1).

Comme le résume la Bible Annotée Neuchâtel11 :

Une seule et même pensée se déroule dans cet Évangile, depuis le récit de la naissance du Christ jusqu’à sa suprême parole :

Toute puissance m’est donnée au ciel et sur la terre : je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.

Cette pensée, c’est que Jésus est le Roi, et qu’il est venu établir, sur les ruines de la théocratie déchue, son royaume spirituel, accomplissement de l’ancienne alliance. L’unité et la grandeur du plan de ce livre répondent ainsi admirablement à son but.

Le texte de Matthieu 7:1 fait partie du Sermon sur la Montagne (les chapitres 5 à 7 de Matthieu). Jésus l’a prononcé au début de son ministère, peu après son baptême par Jean le Baptiste, du haut d’une montagne près du lac de Tibériade. Ce discours (le plus long enseignement oral du Nouveau Testament) comporte notamment les Béatitudes ou la prière du Notre Père et porte sur l’éthique et indique que nous devons exercer un jugment critique.

Si on se limite au contexte immédiat, on voit déjà qu’aux versets 6 et 15 Jésus commande :

Ne donnez pas ce qui est sacré aux chiens et ne jetez pas vos perles devant les cochons, de peur qu’ils ne les piétinent et ne se retournent contre vous pour vous lacérer.

— Matthieu 7:6 (NBS)

Gardez-vous des prophètes de mensonge. Ils viennent à vous déguisés en moutons, mais au dedans ce sont des loups voraces.

— Matthieu 7:15 (NBS)

Pour obéir à ces commandements il est nécessaire d’exercer un jugement, afin d’être capable de reconnaitrs ces “chiens”, “cochons” et “faux prophètes”.

D’ailleurs Jésus déclare :

Ne jugez pas selon l’apparence : que votre jugement soit juste !

— Jean 7:24 (NBS)

Au regard de ces versets et du contexte plus large du Sermon sur la Montagne, il apparait que Jésus interdit “le type de jugement qui est pharisaïque, hypercritique et destructeur”.12 Il interdit cette sorte de jugement qu’on émet sur les autres sans égard pour leur santé spirituelle, utilisé pour nous élever au-dessus d’eux.

Comme l’explique John R.W. Stott13 :

Jésus n’interdit pas les jugements et les critiques mais seulement ceux qui ont pour but de servir nos propres intérêts. […] Il ne nous appelle pas à évaluer les gens avec méchanceté, mais à les juger sévèrement.

Le commandement de ne pas juger n’est pas un appel à être aveugle. Jésus ne nous dit pas de suspendre notre esprit critique mais de renoncer à l’ambition présomptueuse d’être Dieu (en nous établissant nous-mêmes comme juges de ce qui est bien et mal).

On peut également regarder les versets suivant immédiatement le verset 1 :

Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés. Car c’est avec le jugement par lequel vous jugez qu’on vous jugera, et c’est avec la mesure à laquelle vous mesurez qu’on mesurera pour vous. Pourquoi regardes-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et ne remarques-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? Ou bien comment peux-tu dire à ton frère : « Laisse-moi ôter la paille de ton œil », alors que dans ton œil il y a une poutre ? Hypocrite, ôte d’abord la poutre de ton œil ! Alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère.

— Matthieu 7:1-5 (NBS)

Ces versets nous éclairent sur la raison pour laquelle Jésus proscrit les jugements hypocrites et moralisateurs. Quand nous établissons une norme à laquelle les autres doivent se conformer, nous n’y sommes pas moins soumis. C’est pourquoi avec humilité, lors d’une critique portant sur une faute, reconnaissons-là dans notre vie si nous l’avons également commise.

Et comme l’indique Sam Storms dans son commentaire12 sur les versets 3 à 5 :

Ce principe s’applique à un nombre incalculable de situations, pensons au fait de dénoncer les péchés extérieurs, visibles, de la chair, tels que l’adultère, le vol, le meurtre, afin d’excuser ou de minimiser ceux qui sont à l’intérieur, les péchés moins visibles du cœur, tels que la jalousie, l’amertume, l’avidité ou la luxure. À cela se rapporte la tendance à mettre en évidence les fautes des autres pour précisément masquer les nôtres. Cette forme de jugement n’est rien d’autre que de l’auto-justification.

Ensuite, Jésus parle du danger opposé, aux verset 6 et 15 :

Ne donnez pas ce qui est sacré aux chiens et ne jetez pas vos perles devant les cochons, de peur qu’ils ne les piétinent et ne se retournent contre vous pour vous lacérer.

— Matthieu 7:6 (NBS)

Gardez-vous des prophètes de mensonge. Ils viennent à vous déguisés en moutons, mais au dedans ce sont des loups voraces.

— Matthieu 7:15 (NBS)

Ici, Jésus alerte sur le danger d’être trop indulgent et de manquer de discernement.

Et comme l’indique Sam Storms dans son commentaire12 sur ces versets :

En aimant nos ennemis et en ne jugeant pas injustement, le péril nous guette de devenir mous et de manquer de faire les distinctions essentielles entre le juste et l’injuste, la vérité et la fausseté.

Enfin, avant de creuser plus en détail le sujet du jugement à exercer, regardons quelques autres versets pour éclairer encore notre interprétation de ces passages de Matthieu.

Si ton frère a péché, va et reprends-le entre toi et lui seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. Mais, s’il ne t’écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que toute l’affaire se règle sur la déclaration de deux ou de trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Eglise; et s’il refuse aussi d’écouter l’Eglise, qu’il soit pour toi comme un païen et un publicain.

— Matthieu 18:15-17 (Segond 1910)

Je vous en supplie, frères et sœurs, méfiez-vous de ceux qui provoquent des divisions et font trébucher les autres en s’opposant à l’enseignement que vous avez reçu. Eloignez-vous d’eux.

— Romains 16:17 (Segond 21)

Quant à moi, absent de corps, mais présent d’esprit, j’ai déjà jugé, comme si j’étais présent, celui qui a agi de la sorte.

— 1 Corinthiens 5:3 (NBS)

Est-ce à moi, en effet, de juger ceux du dehors ? Et ceux du dedans, n’est-ce pas vous qui en êtes juges ? Ceux du dehors, c’est Dieu qui les jugera. Expulsez le mauvais du milieu de vous.

— 1 Corinthiens 5:12-13 (NBS)

Mais si quelqu’un - même nous ou même un ange venu du ciel - vous annonçait un évangile différent de celui que nous vous avons prêché, qu’il soit maudit! Nous l’avons déjà dit, et je le répète maintenant: si quelqu’un vous annonce un autre évangile que celui que vous avez reçu, qu’il soit maudit!

— Galates 1:8-9 (Segond 21)

Prenez garde aux chiens, prenez garde aux mauvais ouvriers, prenez garde aux partisans de la mutilation.

— Philippiens 3:2 (NBS)

Bien-aimés, ne croyez pas tout esprit ; examinez plutôt les esprits pour savoir s’ils sont de Dieu, car beaucoup de prophètes de mensonge sont sortis dans le monde.

— 1 Jean 4:1 (NBS)

Quiconque s’écarte de ce chemin et ne demeure pas dans l’enseignement de Christ n’a pas Dieu; celui qui demeure dans l’enseignement de Christ a le Père et le Fils. Si quelqu’un vient chez vous et n’apporte pas cet enseignement, ne le prenez pas chez vous et ne le saluez pas, car celui qui le salue s’associe à ses mauvaises œuvres.

— 2 Jean 1:9-11 (Segond 21)

C’est pourquoi, si je vais vous voir, je rappellerai les actes qu’il commet.

— 3 Jean 1:10 (Segond 1910)

Une exégèse de quelques autres versets

Afin de maintenir cet article dans une longueur raisonnable, je vais faire un résumé de l’exégèse des 3 versets d’objections cités au début que nous n’avons pas encore abordé.

Ces textes ont un sens similaire à Matthieu 7:1-5. Ils nous appellent a ne pas nous élever au-dessus de la loi, à rester humbles et à ne pas critiquer sans fondement.

Il faut aussi noter qu’en Jacques 4:11 le terme traduit par accusez veut dire médire (cf. Romains 1:30 ou 2 Chorintiens 12:20).

Enfin il faut rappeler le principe de cohérence : la doctrine biblique ne peut pas se contredire.

Il y aurait bien sûr encore beaucoup à dire sur le jugement et le discernement dans la Bible, mais je m’arrêterai ici pour cet article.

Réponse à l’objection

Ceux qui émettent l’objection “il ne faut pas juger”, “on doit tous se repentir”, ou “regarde la poutre qui est dans ton œil” tordent les Écritures pour faire taire tous ceux qui se risquent à critiquer ou à dévoiler les péchés, défauts ou aberrations doctrinales des autres.

Leur interprétation simpliste et hors contexte ne tiens pas face à une exégèse (ou même une simple lecture des versets dans leur contexte). Il faut se garder de réduire la Bible à une série de slogans dont on se servirait pour affirmer que l’on a raison sur tel ou tel point.

D’ailleurs, dans ce contexte de rupture avec la secte KSB, il est intéressant de noter14 que les sectes chrétiennes exaltent souvent des versets hors contexte pour en faire une norme, une pratique centrale, décalées de l’enseignement de l’Écriture.

Comme le résume Florent Varak14 :

On a une quantité incroyable de versets qui nous exhortent à la vigilance, qui nous exhortent au jugement. Notamment au jugement de doctrine, parce que c’est par la doctrine que l’on perçoit qui est Dieu, qu’est-ce que la vie chrétienne. Et c’est par ce que la Bible enseigne que l’on va être orienté dans notre démarche.

Il y a des gens qu’il faut juger pour ce qu’ils apportent à l’église, qui est malsain, qui est faux, qui est erroné.

Qu’en est-il du pardon ?

Il y a un point que j’aimerais addresser brièvement, celui du pardon, en rapport avec l’objection précédemment formulée.

Souvent il est objecté que l’on doit pardonner et que cela signifie un oubli et un retour aux relations existant avant l’offense. Les personnes qui avancent cet argument, notamment dans notre contexte de sortie de secte, insinuent que ceux qui jugent les personnes ayant mal agi n’ont pas pardonné et donc contreviennent aux commandements de Dieu.

Qu’en est-il réellement ? Que dit la Bible ?

L’amour de Dieu

Petite parentèse sur l’amour de Dieu.

Réduire l’amour de Dieu à un amour inconditionnel pour quiconque est une aberration et l’affirmation “il faut détester le péché, mais aimer le pécheur” n’est pas fondée bibliquement.

Cela mériterait un exposé complet, et le livre de D.A. Carson, The Difficult Doctrine of the Love of God, disponible gratuitement en pdf, est une bonne introduction.

En résumé, notons qu’on peut distinguer 5 facettes différentes de l’amour de Dieu15 :

  1. L’amour particulier intra-trinitaire entre le Père et le Fils : le Père aime le Fils et le Fils aime le Père.
  2. L’amour providentiel de Dieu pour sa création : la Création est l’œuvre d’un Créateur aimant, qui a fait toutes choses bonnes.
  3. L’amour salvateur de Dieu pour un monde perdu : même si Dieu juge le monde, il se présente aussi lui-même comme le Dieu qui invite et ordonne à tous les êtres humains de se repentir.
  4. L’amour particulier de Dieu pour ses seuls élus : Dieu met son affection sur ses élus comme il ne la met pas sur les autres. L’élément distinctif n’a rien à voir avec un mérite quelconque ; il n’est rien d’autre que l’amour de Dieu. Cette facette de l’amour de Dieu diffère des trois précédentes.
  5. L’amour conditionnel de Dieu pour ceux qui lui obéissent : cette facette de l’amour divin a trait à notre relation avec Dieu une fois que nous le connaissons. Jésus commande d’ailleurs à ses disciples de demeurer dans son amour (Jean 15:9-10).

On peut alors en extraire 3 observations15 :

  1. Ne pas absolutiser une de ces facettes : une facette ne doit pas être absolutisée et considérée comme la seule valable, ou bien relativiser les autres facettes.

  2. Intégrer ces diverses facettes : Nous ne devons pas voir ces différentes facettes de l’amour de Dieu comme indépendantes, compartimentées, mais comme un tout cohérent et les considérer selon un équilibre biblique.

  3. Revisiter certains “clichés évangéliques”, par exemple :

    1. “L’amour de Dieu est inconditionnel” : c’est vrai dans le 4ème sens, en rapport avec l’amour électif de Dieu. Mais ce n’est certainement pas vrai dans le 5ème sens : Dieu peut se mettre en colère contre nous, comme un père aimant contre ses enfants indisciplinés.
    2. “Dieu aime tout le monde exactement de la même manière” : c’est vrai pour les 2ème et 3ème sens, dans le domaine de la providence. Dieu envoie son soleil et sa pluie autant sur les justes que sur les injustes. Mais ce n’est pas vrai dans les autres sens.

Il est clair que ce que la Bible dit sur l’amour de Dieu est plus complexe et plus nuancé que les slogans habituels le disent.

Pardon, réconciliation, et guérison

Il faut distinguer ces trois termes :

  • Le pardon c’est renoncer à punir, renoncer à se venger16, c’est ne pas garder de rancœur ou de pensées malveillantes envers le coupable.16 17

  • La réconciliation c’est l’action de rétablir l’amitié ou l’entente entre des personnes ou des groupes hostiles18, c’est se remettre d’accord.19

  • La guérison c’est la suppression, la disparition d’un mal physique ou moral.20 21

Le pardon est-il inconditionnel ?

Il existe deux courants majeurs parmis les théologiens protestants : ceux qui défendent l’inconditionnalité du pardon et ceux qui le conditionnent à la repentance de l’offenseur.

Je n’ai pas encore d’avis définitif sur la question, bien que je penche pour la conditionnalité du pardon, notamment à la lecture de l’Évangile selon Luc :

Si ton frère a péché, reprends-le; et, s’il se repent, pardonne-lui. Et s’il a péché contre toi sept fois dans un jour et que sept fois il revienne à toi, disant : Je me repens,-tu lui pardonneras.

— Luc 17:3-4 (Segond 1910)

Ce passage semble en effet indiquer que, s’il n’y a pas de limite au pardon, il est toutefois conditionné à la repentance.

Il faut préciser qu’en pratique il y a peu de différences entre les deux positions. Généralement, les tenants de l’inconditionnalité du pardon distinguent pardon et réconciliation, tandis que les tenants de la conditionalité du pardon intègrent la réconciliation au pardon.

Dans les deux cas, la réconciliation est conditionnée par la repentance de l’offenseur.

Cependant, rappelons-nous que quelle que soit la position défendue, si l’offenseur se repent nous devons pardonner.

Quelques précisions au sujet du pardon

Je vais évoquer des éléments de réponse à quelques affirmations souvent utilisés dans les différents milieux chrétiens pour faire taire22 les victimes d’abus spirituel, d’abus sexuel, etc.

Des affirmations erronées de ce genre nous ont parfois été présentées dans le cadre de notre sortie de secte par des adeptes ou anciens adeptes.

Contrairement à ce qu’on entend souvent, pardonner ce n’est pas oublier.

Dieu lui-même n’oublie pas nos péchés. Cela contredirait l’omniscience de Dieu. D’ailleurs les quelques passages qui mentionnent “l’oubli” des transgressions sont métaphoriques et indique une rémission.23 Dieu nous fait grâce en étant pleinement conscient de notre état de pécheurs et de l’étendue de nos transgressions.

Le pardon est donc avant tout une remise de dette, un refus de la vengeance. Le pardon c’est abandonner l’amertume et ne pas se laisser enfermer dans la colère.

Le pardon n’est pas non plus une sorte d’amnistie, qui exempterait le coupable de comparaitre devant la justice.

Celui qui absout le coupable et celui qui condamne le juste sont tous deux en abomination à l’Éternel.

— Proverbes 17:15 (Segond 1910)

Il s’agit de ne pas nous venger, de ne pas faire justice nous-mêmes :

Ne vous faites pas justice vous-mêmes, bien-aimés, mais laissez place à la colère, car il est écrit : C’est moi qui fais justice ! C’est moi qui paierai de retour, dit le Seigneur.

— Romains 12:19 (NBS)

Or, sur Terre, l’exercice de la justice passe par les systèmes judiciaires en place :

Le magistrat est serviteur de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains; car ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée, étant serviteur de Dieu pour exercer la vengeance et punir celui qui fait le mal.

— Romains 13:4 (NEG 79)

Enfin, le pardon ce n’est pas un retour à la relation d’avant, faire comme s’il ne s’était rien passé.

Comme le dit le pasteur Sam Storms23 :

Le pardon ne signifie pas que vous devez ignorer qu’un tort a été fait ou que vous niez qu’un péché a été commis. Le pardon ne signifie pas que vous fermez les yeux sur l’atrocité morale et prétendez que cela n’a pas fait de mal. Il ne signifie pas que cela n’a pas vraiment d’importance si la personne fautive doit ou non rendre des comptes. On ne vous demande pas non plus de diminuer la gravité de l’infraction ou de dire aux autres: “Oh, n’y pensez pas; ce n’était vraiment pas si grave après tout.” Le pardon signifie simplement que vous décidez dans votre cœur de laisser Dieu être le vengeur.

Nous ne devons jamais accepter le mensonge selon lequel pardonner signifie que le péché est ignoré ou que l’auteur n’est pas tenu responsable de ses actes.

Le pardon ne signifie pas que vous devez permettre à l’offenseur de vous blesser à nouveau. Vous devez fixer des limites à votre relation avec lui : vous seul établissez des règles régissant comment et dans quelle mesure vous interagirez avec cette personne à l’avenir. Et cela ne signifie pas que vous n’avez pas réussi à le pardonner sincèrement et véritablement.

L’offenseur peut s’offusquer que vous définissiez des limites à votre relation pour l’empêcher de vous faire plus de mal. Il peut même dire: “Comment oses-tu? Cela prouve simplement que tu ne le pensais pas quand tu m’a dit que tu m’avais pardonné.” Ne vous laissez pas manipuler. Le pardon ne signifie pas que vous devenez un paillasson impuissant et passif pour son péché continuel.

Il y a encore beaucoup de réflexions à conduire au sujet du pardon et cela fera peut-être l’objet d’un autre article.

Tendre l’autre joue

Je vais brièvement aborder ce dernier point. Jésus ne nous dit-il pas de “tendre l’autre joue” ? Ne devrions-nous pas rester passifs face à l’agression et l’offense ?

Vous avez entendu qu’il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent. Mais moi, je vous dis de ne pas vous opposer au mauvais. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre.

— Matthieu 5:38-39 (NBS)

Une exégèse complète de ce passage serait intéressante, mais je serai bref.

Dans la culture juive de l’époque, la gifle sur la joue droite est un geste symbolique de mépris. En effet, frapper sur la joue droite, obligatoirement avec la main droite (la gauche étant impure), oblige à gifler avec le dos de la main : c’est une offense, de quelqu’un qui s’estime supérieur envers un autre, considéré inférieur, qu’il méprise.24 25

Dans ce contexte, tendre l’autre joue place l’offenseur devant un dilemme : puisqu’il ne peut frapper de la main gauche (au risque de se condamner lui-même, puisqu’elle est impure), il doit soit cesser son agression, soit frapper avec la paume de la main. Or ce geste symbolise la reconnaissance de l’autre comme son égal.24 25

Il ne s’agit donc pas pour la victime de rester passive mais de contraindre son adversaire de manière non-violente. Il s’agit également de contester la légitimité de l’acte de l’offenseur et de lui faire prendre conscience de son injustice.24

On peut interpréter les versets suivants de la même manière :

Si quelqu’un veut te faire un procès pour te prendre ta tunique, laisse-lui aussi ton manteau.

— Matthieu 5:40 (NBS)

Dans l’Israel du premier siècle, il était courant en cas de retard de paiement qu’un créancier saisissent la tunique de son débiteur jusqu’au paiment de la dette. Or la loi de Moïse oblige le créancier à rendre l’habit avant la nuit (Exode 22:25-26 ; Deutéronome 24:13). En outre, le manteau était le seul bien qui n’était pas autorisé à être saisi.24 25 Ainsi, Jésus encourage une résistance en provocant un “scandale” plutôt qu’en résistant violement.

Si quelqu’un te réquisitionne pour faire un mille, fais-en deux avec lui.

— Matthieu 5:41 (NBS)

À l’époque de Jésus, un romain avait le droit d’exiger d’un juif que ce dernier porte ses affaires sur une distance d’un mille (1000 pas, soit environ 1500 m). La non-plus Jésus ne nous invite pas à subir passivement une injustice mais à oser une action pour ouvrir les yeux de l’offenseur sur l’illégitimité de ses actes.24 25 En effet, la loi romaine punissait tout romain qui forçait un juif à dépasser la distance d’un mille.26 27

Conclusion

Rappelons-nous que nous avons l’obligation d’exercer un jugement critique sur les agissement et les enseignements contraires à la saine doctrine biblique. Ne nous laissons pas manipuler par ceux qui tentent d’étouffer les critiques et de cacher les fautes.

Les versets cités hors contexte peuvent être utilisés pour leur faire dire ce qu’ils ne disent pas et il faut toujours considérer un enseignement à la lumière de son contexte et de l’ensemble de la Bible.

Références

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